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Interview de Sylvie Nourry, Membre du Comex du Groupe UP, Directrice Marketing & Innovation / Présidente de la Fintech MAY

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« Il faudrait valoriser et célébrer l’expérience des gens : on devrait inventer quelque chose pour rendre visibles les expériences de celles et ceux qui ont un certain âge afin de changer le regard qu’ils et que les autres portent sur eux »

1/ Est-ce que tu peux te présenter ? Professionnellement ? Personnellement ?

Je suis Sylvie Nourry, j’ai tout juste 60 ans et je suis maman de trois grands enfants.

Je travaille actuellement au sein du groupe international UP, une entreprise de l’Économie Sociale et Solidaire, plus précisément une coopérative, donc une entreprise qui appartient à ses salariés. Nous commercialisons majoritairement ce qu’on appelle les avantages aux salariés (titre repas, titre cadeau, titre sport, titre mobilité etc ….) qu’une entreprise propose à ses salariés à la fois dans une logique de pouvoir d’achat complémentaire (et c’est important dans la période actuelle) mais aussi pour attirer et fidéliser les talents de l’entreprise.

Au sein du groupe Up, je suis membre du Comex et je dirige le marketing et l’innovation au niveau international. Parallèlement, je suis Présidente d’une de nos filiales françaises, que j’ai contribué à créer : une Fintech qui propose des avantages aux salariés de manière très innovante, un peu notre propre concurrent en fait.

Plusieurs motivations pour ce projet :

  1. Comme beaucoup d’entreprises, nous sommes en pleine évolution digitale pour répondre aux attentes de nos clients comme du marché dans son ensemble, attentes qui évoluent en permanence dans le monde actuel ! Nos équipes internes sont donc très focus sur ces sujets et les innovations de rupture – comme ce que j’ai proposé avec May – sont plus faciles à expérimenter en externe. C’est pour cela que nous avons créé une filiale. May porte une très grande innovation sur le marché et permet à Up de redevenir l’acteur avec un coup d’avance sur ce marché hyper concurrentiel sur lequel de nouveaux concurrents arrivent chaque année.
  2. D’un point de vue plus personnel, j’ai souhaité prendre la Présidence de cette filiale, car j’adore le phénomène de la « page blanche », c’est une façon de travailler qui me motive énormément et dans laquelle je me sens vraiment à la bonne place.

 

2/ Aujourd’hui, je peux dire ton âge, tu as 60 ans, quel est le rapport que tu as avec le fait de prendre de l’âge ?

En fait, j’ai toujours eu un rapport assez serein avec mon âge, je me rends compte que c’est certainement une chance !

Mais je dois dire que depuis plusieurs années, j’observe un vrai changement car je retrouve de plus en plus d’énergie et d’envies, peut-être parce que mes enfants sont grands et ont bien moins besoin de moi au quotidien.

J’ai aussi plus de légèreté, je suis plus sereine car je me suis rassurée au fil des années. Et j’ai les idées assez claires sur mes capacités, mes motivations et sur ce qui m’épanouit profondément.

Avec cette énergie retrouvée, ça fait un bon alignement des planètes ! Et tout ça, ce sont de vrais bénéfices de l’âge !

3/ Comment te sens-tu à ton âge en général ? Et au sein du groupe UP et de May en particulier ?

Ce que je viens de dire, c’est ce que je ressens profondément mais je ne vis pas forcément la même chose au sein du monde professionnel. C’est beaucoup plus ambigu, l’âge en entreprise pose question, c’est évident.

  • Tout d’abord, on associe souvent l’âge à un moindre investissement, de la fatigue, du manque d’implication voire même de la difficulté à se remettre en question. Ce qui pour moi est une erreur. Ce n’est pas une question d’âge, c’est une question état d’esprit. Et avec moins de contraintes personnelles (encore une fois, les enfants sont grands) donc de la disponibilité et de l’énergie retrouvées, les salariés ayant passé la 50aine et qui ont le bon état d’esprit, ça devrait être le graal pour les entreprises !
  • Par ailleurs, il y a bien sûr du monde qui pousse pour prendre la relève. Et ça on ne peut rien faire contre, j’ai même beaucoup d’indulgence face à ça, j’ai été à leur place quand j’étais plus jeune, donc je comprends très bien !
  • Autre point : le regard des autres change. C’est le plus étonnant, peut-être le plus âpre. C’est Groucho Marx qui disait : « dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé ». J’adore cette citation, parce que c’est vrai qu’on ne se sent pas vieillir je crois ; Et c’est le regard des autres qui nous fait nous réajuster en permanence. J’ai entendu récemment : « T’as 60 ans, tu ne peux pas comprendre, t’es pas de la bonne génération » …

Effectivement l’âge que j’ai, je ne pourrai jamais le changer. Mais la nôtre a de sacrés avantages tout de même : la dispo, l’expérience, une certaine forme de sagesse, un égo bien moins envahissant, la compétence pour justement manager les autres générations et la capacité à transmettre et accompagner. Pas si mal non ?

4/ Est-ce que cela fait partie d’une politique QVCT selon toi ?

Les entreprises vont être confrontées à un double défi ; l’arrivée des jeunes générations qui ont des attentes extrêmement différentes de notre génération, et le maintien des séniors en entreprise, puisque l’âge de la retraite a été reculé. Sacré grand écart !

Ce sujet peut faire partie d’une politique QVCT parce qu’il est nécessaire aujourd’hui de créer les conditions de travail adéquat pour les jeunes sinon ils ne restent pas, et de maintenir la motivation des plus anciens sinon, ils deviendront passifs et ca n’est pas utile pour l’entreprise !

Donc la QVCT doit prendre ces sujets à bras le corps, c’est certain.

5/ Y a-t-il une politique Séniors ? politique de management intergénérationnel ? Et si oui, comment cela se passe-t-il ? Quels sont les effets sur toi ?

Alors, effectivement, beaucoup de groupes, comme Up, ont des politiques Séniors mais j’avoue que je ne m’y reconnais pas vraiment. On y aborde essentiellement un accompagnement et des aides pour aller vers une fin de carrière : le calcul de tes points retraire, ton compte épargne temps, pour partir un peu plus tôt etc … C’est vraiment utile (quand on est prêt à prendre sa retraite) mais pour moi c’est un minimum.

Et ça ne répond pas à deux questions essentielles :

  1. Comment bien vieillir en entreprise ? C’est-à-dire, bien vivre ses dernières années de vie professionnelle, de façon épanouissante pour soi et utile pour l’entreprise,
  2. Comment accompagner ce saut dans l’inconnu qu’est la retraite ? Trop de salariés ne préparent rien et se retrouvent démunis au moment de la retraite. D’ailleurs ce mot est épouvantable, les espagnols disent « jubilacion », c’est autrement plus sexy non ?

Trop souvent, la politique sénior fait partie d’un ensemble « lutte contre les discrimination » (femme, handicap etc ..). C’est assez symbolique, parce que c’est envisager ce sujet comme un problème et non pas comme une simple situation à gérer avec des avantages à en retirer. Encore une fois, l’âge apporte du recul, un regard tourné vers l’essentiel, de l’expérience ..  ce sont de sacrées forces sur lesquelles l’entreprise doit pouvoir s’appuyer.

Si on ne le prend que sous l’angle de l’obligation de non-discriminations, on perd toute la puissance potentielle pour l’entreprise, c’est un vrai gâchis !

C’est tout l’intérêt de traiter en parallèle : l’épanouissement pour le salarié ET l’intérêt pour l’entreprise !

Après, je ne suis pas une spécialiste mais il peut y avoir par mal de politiques intéressantes :

  1. Promouvoir l’accès à la formation pour tous les salariés sans considération d’âge. Et c’est vrai que chez Up par exemple, tu peux continuer à te former quel que soit ton âge, et c’est vraiment super !
  2. Des politiques de non-discrimination liée à l’âge, notamment dans la gestion de carrière et des promotions, du mécénat de compétences etc ..

Mais je crois fondamentalement que les Séniors ne souhaitent pas être stigmatisés au sein de l’entreprise mais reconnus pour ce qu’ils apportent. Et lorsqu’ils sont prêts pour partir en « jubilacion » alors l’entreprise doit les accompagner.

Voici quelques propositions, sans prétention aucune :

Pour faire bouger le regard sur les Séniors :

  1. Les traiter comme tous les autres salariés, tout en prenant en compte les atouts de leur séniorité,
  2. Mettre en place une animation / coaching interne des séniors pour les aider à conserver un regard positif sur eux et l’envie de s’impliquer,
  3. Définir et mettre en œuvre une politique de sensibilisation en interne pour changer le regard sur les Séniors, et donc la façon de les manager,
  4. Continuer à s’interesser aux besoins des séniors pour qu’ils se sentent épanouis dans l’entreprise. Trop souvent, on y prête un peu moins d’attentions ..

 

Pour aider à préparer le départ :

  1. Organiser des témoignages d’anciens ayant pris leur retraite,
  2. Organiser des conférences sur l’absolue nécessité de se préparer à ce changement et éviter les pièges du grand vide,
  3. Organiser un collectif d’anciens : chez Up, nous avons une association des anciens qui gèrent eux-mêmes leurs rencontres, sorties etc …
  4. Et évidemment, mettre en œuvre les outils d’accompagnement de fin de carrière lors du passage à la retraite. En général, ce volet est plutôt bien géré dans les grandes entreprises que je connais.

 

6/ Si tu devais donner des conseils aux plus jeunes qui nous écoutent ? Professionnellement ? Personnellement ? Filles ? Garçons ?

Je me sens une énorme responsabilité vis-à-vis de mes deux filles sur cette question, peut-être parce que j’ai moi-même manqué de modèle féminin sur ce sujet.

J’ai à cœur de leur montrer qu’avoir 60 ans, ça peut être absolument génial parce qu’il peut y avoir toujours des désirs, des envies, des projets, des rencontres mais qu’on a gagné en sérénité et qu’on est bien plus en harmonie avec soi-même. Et puis, il y a toujours et toujours l’humour et de la joie et il reste encore tant d’années à vivre : inutile de se les gâcher en regrettant ce qui n’est plus et ne peut plus être !

Les conseils que je donnerais aux plus jeunes générations :

  1. Entretenir toujours et toujours sa curiosité pour continuer à avoir la capacité de se remettre en question et de bouger. Et délaisser les certitudes de la jeunesse …
  2. Rencontrer de nouvelles personnes, ouvrir grand son horizon, prendre avec souplesse ce que la vie apporte,
  3. Évidemment, faire attention à son corps, sinon il va te lâcher, même si pour moi, le bien vieillir ce n’est pas du tout que ça, c’est plus du côté de la curiosité et la joie.
  4. Célébrer, célébrer les joies, les réussites petites et grandes, célébrer les amitiés, les rencontres, les enfants … ne plus jamais oublier de célébrer ! On est si fort pour regarder toutes les choses qui restent à accomplir mais on oublie bien trop souvent de célébrer tout ce qui a été accompli !
  5. Ne pas rester seul/e face à cette question, se faire accompagner par exemple : c’est ce que j’ai fait via cette démarche de coaching collectif avec Chine Lanzmann, là où nous nous sommes rencontrées toutes les deux. Et ça change tout !

Et puis il y a un dernier aspect lié à l’âge qui me tient vraiment à cœur : n’oublions pas qu’en entreprise, l’âge des femmes n’est pas l’âge des hommes. L’âge fait mûrir les hommes alors qu’il fait vieillir les femmes, quelle injustice ! Et c’est un sujet qu’il faudra traiter rapidement parce que la génération de femmes près moi, sera bien plus nombreuse aux postes de direction !

Et femme + âge : ça peut encore être aujourd’hui trop souvent une double discrimination.