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Interview de Jean-Paul Naddeo, Editeur

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« J’ai 75 ans. Je vis comme si j’avais 50 ans (…) J’ai des amis de tous les âges avec qui je partage de très bons moments. »

1/ Peux-tu te présenter ? Professionnellement ? Personnellement.

Je m’appelle Jean-Paul Naddeo et j’ai 75 ans. J’ai fait toute ma carrière dans l’édition. J’étais un mauvais élève à l’école. Je n’ai pas mon bac, mais j’ai découvert ‘’Le Livre’’ à l’âge de 14 ans dans une librairie dans laquelle j’avais trouvé un petit boulot pour me faire de l’argent de poche. Ça m’a donné un accès à la lecture qui m’était totalement inconnue. J’ai pu ainsi découvrir la culture et fréquenter des auteurs qui ont orienté ma vie. Dès l’âge de 16 ans, j’avais trouvé ma voie c’était l’Edition ! Mon objectif, travailler dans l’édition et devenir éditeur. Cet objectif m’a guidé pendant toute ma jeunesse. J’ai eu la chance de rencontrer, grâce à la librairie, des personnes du métier qui m’ont fait confiance.

Ma première rencontre, c’est donc ce libraire qui m’a autorisé à prendre tous les livres que j’avais envie de lire et de les remettre dans la librairie en l’état, cela m’a permis, comme je lisais beaucoup de passer de manutentionnaire à vendeur. Ensuite ma rencontre avec Robert Laffont, a été déterminante. Il a cru en moi et a eu l’audace de m’embaucher comme représentant de sa maison d’Edition pour le sud de la France, je n’avais que 22 ans. Je rentrais du service militaire, accompli chez les chasseurs alpins dont je garde un très bon souvenir. Ces 18 mois d’armée avaient comblé mon autre passion, la haute montagne, l’escalade que j’ai découvert grâce aux livres de Roger Frison-Roche « Premier de Cordée, La grande crevasse »

Rapidement j’ai développé les rencontres, avec les libraires de la région, et les auteurs… j’ai enrichi mes relations, nourri par les échanges que mon métier m’apportait.

C’est ainsi qu’a 22 ans je me retrouvais ‘’l’ambassadeur’’ de la maison d’édition Robert Laffont pour la région Provence-Côte d’azur. Très investi,  je ne suis pas limité aux libraires je rencontrais également les auteurs que je mettais en relation avec les journalistes régionaux. Ce travail a payé, le chiffre d’affaires et l’image de la maison ont explosé.

Et à 24 ans Robert Laffont qui avait eu vent de mon travail m’a fait venir à Paris, en qualité d’animateur des ventes nationales. Ce fut le début d’une belle aventure, j’étais au cœur de l’Edition après quelques années de collaboration avec Robert Laffont, mon mentor, Pierre Belfond alors jeune éditeur m’a proposé de le rejoindre pour monter le service commercial et travailler avec lui pour développer sa maison, un pari à priori risqué, mais ce fut le début d’une belle nouvelle aventure qui a été gagnante. Mon premier poste de directeur commercial j’avais 27 ans ! Je suis devenu l’ami de nombreux auteurs…Anthony-Burgess…Cavanna, Wolinski…Cabu, Jean-Louis Bory, les photographes Lucien Clergue…Robert Doisneau et bien d’autres J’ai développé un réseau professionnel et d’amitiés qui me nourrissait intellectuellement et qui m’inspirait pour développer mon activité.

Ensuite, on m’a proposé de prendre la direction d’une maison d’édition, spécialisée de livres pour enfants, : les éditions Hemma. Me voilà enfin ‘’patron’’ d’une maison d’édition mon rêve ! La maison regroupait à l’époque les fonctions éditoriales, commerciales et logistiques !  Filiale du groupe CEP (aujourd’hui devenu Vivendi). C’était un vrai bonheur de travailler avec mes équipes. Je n’ai jamais eu de conflits, j’avais la paix sociale. Les éditions Hemma étaient devenues à l’époque une des maisons leaders dans le marché du livre d’enfant, un secteur plein de créativité. L’aventure a duré 9 ans.

Puis, le président de Larousse, Bertrand Eveno énarque m’a proposé de le rejoindre à la Direction de Larousse. Alors, je me suis un peu interrogé, complexé par mon manque d’études et de diplôme, me retrouver à la tête d’une maison d’édition phare, prestigieuse   sans même le bac, j’avais un peu le syndrome de l’imposteur. Je me posais des questions sur ma légitimité. Mais ayant toujours aimé les défis, j’ai accepté ce challenge et j’ai intégré la maison qui n’était pas au mieux de sa forme et où le personnel était diplômé des grandes écoles.

Petite anecdote : durant les premiers entretiens, mes collaborateurs et collègues me parlaient tous de leurs hautes études et de leur diplôme, alors j’ai eu l’idée d’encadrer et d’afficher mon seul diplôme, mon certificat d’étude primaire au-dessus de ma tête dans mon bureau en leur disant « moi je suis seulement diplômé de l’Ecole de la République » ça a calmé les esprits médisants sur mon parcours de non diplômé.

Redonner à Larousse ses lettres de noblesse a été compliqué mais nous avons réussi avec l’investissement de collaborateurs formidables, nous avons même, en 2000, battu le record de ventes de toute l’histoire du fameux Petit Larousse avec près de 1.600.000 exemplaires vendus dans le monde

Larousse a été ensuite repris par hachette après la dislocation de Vivendi et je n’ai pas souhaité suivre. J’avais 62 ans, un ami DRH m’a parlé de retraite, gros mot pour moi, ça ne me parlait pas à l’époque ! Travaillant depuis l’âge de 14 ans j’avais tous mes trimestres, et pouvais en profiter.  L’ambiance avec le dépeçage du groupe devenait délétère. Je voyais arriver internet et j’avais envie de changer de vie, de voyager et de me nourrir d’autres cultures et d’autres projets.

J’ai donc choisi de prendre cette retraite active, et de me lancer dans l’acte trois de ma vie, avec le projet de parcourir le monde. Et curieusement, la vie étant très bien faite, mon propre groupe est revenu me chercher alors que je commençais à peine à souffler. Alain Kouck, Président d’Editis, et ami de longue date m’a convaincu de m’occuper du Robert. J’ai donc créé mon cabinet de conseil et j’ai regagné le groupe comme consultant / conseiller du président pendant 3 ans.

Et là, à 65 ans je me suis dit stop, je voyage.

Comme tout motard passionné, je rêvais de faire la Route 66. N’ayant pas trouvé de livre sur cette route mythique, j’ai décidé de le faire pendant mon premier road-trip sur la 66. Ce fut Eternelle Route 66. Cet ouvrage est devenu un livre de référence, j’en suis à la cinquième édition ! et …ma 5eme traversée des US à moto. D’autres livres lui ont succédé, dictés par la passion des voyages comme Eternelle Nationale 7 …Route des Grandes Alpes…  Route Maya… Routes de Corse … Route Napoléon …

Ma passion pour les sports mécaniques et notamment la moto m’a permis d’effectuer aussi des essais moto pour des magazines. Un vrai bonheur d’être parmi les premiers à rouler avec de nouvelles machines. J’ai effectué plusieurs voyages lointains comme au Cap Nord…j’étais à 72 ans le doyen parmi le groupe de motards… ils avaient presque tous la moitié de mon âge.

Pour la petite histoire, en enregistrant les inscriptions, les organisateurs de ce raid ont pensé que j’avais mal écrit mon année de naissance et on lut 1984 à la place de 1948. Ils ont été surpris en me rencontrant et en me voyant rouler comme un pilote de 30 ans.

J’ai également fait la route la plus haute du monde à moto dans l’Himalaya, au Ladakh.  Les pistes étaient difficiles, il m’est arrivé de me demander ce que je foutais là ?  Mais Je n’ai jamais renoncé et regretté et je suis allé jusqu’au bout au Col de Kardungla qui culmine à près de 5750 mètres. Il ne me restait que 250 m pour parvenir 6000 m. que J’ai donc gravis à pied avec un certain épuisement sans oxygène, mais ce fut une grande satisfaction d’avoir franchi l’altitude de 6000 mètres. Cela m’a donné une énergie pour la suite et j’ai aussi effectué la traversée à moto de l’Amérique du sud de Santiago du Chili à Ushuaia en passant par les cols de la Cordillère des Andes, la Patagonie, la fameuse Route 40… que de très bons souvenirs. Aujourd’hui, je continue à voyager.

2/ Aujourd’hui, quel âge as-tu ? Quel est le rapport que tu as avec le fait de prendre de l’âge ? Comment te sens-tu ?

J’ai 75 ans. Je ne m’occupe pas de mon âge. J’ai la chance d’avoir une bonne constitution, une compagne plus jeune qui veille sur moi, des amis de tout âge dans la vie et surtout, d’avoir la joie de vivre et l’envie. Je continue de réaliser mes passions.

Je n’ai pas le sentiment de ma vieillesse, ça ne m’interpelle pas. Je fais certes un peu moins de sport depuis le covid. Avant, il m’arrivait de faire des sorties de 200 km à vélo là ‘’j’ai levé le pied’’.

En réalité, je vis comme si j’avais 50 ans, rien n’a changé. Je lis énormément, j’anime chaque mois une émission littéraire. J’ai des amis de tous les âges, même des jeunes de 20 ans qui me considèrent comme leur copain, me font leurs confidences et me demandent des conseils.

3/ Est-ce que quand tu étais en entreprise, cela fait partie d’une politique QVT ? RSE / Politique Seniors ?

Je n’ai pas connu la RSE ni la QVT mais je n’en avais pas besoin ! le bon sens primait J’adorai l’entreprise, j’étais à l’écoute de mes collaborateurs. Je me suis toujours employé à créer un bon climat, à les faire bien vivre, à les faire aimer l’entreprise. Il me le rendait bien aussi. Une bonne ambiance régnait avec une confiance réciproque. Je n’ai jamais eu de conflit, pas de grève. Chaque personne quel que soit le poste, était importante pour moi, et je ne me posais pas la question de l’âge quand je recrutais.

Quand je recevais un CV, je commençais à le lire par le bas pour connaître les centres d‘intérêts du possible candidat. Car quand on a 40/60 ans, savoir que vous avez eu un diplôme à 20 ans, n’est plus l’essentiel. Ce qui est important, c’est son vécu, ses compétences, ses passions, ses réalisations et ses softs skills … La curiosité, l’attitude positive, la créativité et en plus le sens du collectif.

Il m’est aussi arrivé de me séparer de gens qui ne remplissaient plus leur mission, qui stagnaient, je voyais qu’Is ne se révélaient plus dans l’entreprise mais n’avaient pas le courage de bouger, je les accompagnais à changer et à trouver un nouveau job plus dans leurs compétences, leurs envies, leurs besoins.  J’avais une responsabilité vis-à-vis de mes collaborateurs et c’était une satisfaction de les voir s’épanouir ailleurs.

4/ Si tu devais donner des conseils aux plus jeunes qui nous lisent ? Professionnellement ? Personnellement ? Femmes ? Hommes ?

Je trouve que les femmes sont de plus en plus épanouies et puissantes et en cela elles sont magnifiques.

Mais d’une façon générale, et je sais que ça va peut-être faire grincer des dents mais il faut bouger, prendre des risques, se fixer des objectifs, avoir une attitude positive, respecter nos ainés, pas de drogues, faire du sport, se développer une passion, ne pas focaliser sur votre temps de travail, votre retraite future, faire le job comme si c’était votre propre entreprise. Il faut regarder devant et profiter de la vie au jour le jour, et avancer.

On est dans un monde qui bouge beaucoup avec les nouvelles technologies… nouveaux métiers où les gens vont être obligés de changer de métiers, de voies, … il faut donc continuer a être curieux, à se cultiver à avoir envie et être enthousiaste et positif.

Je pense également aux dirigeant(e)s, soyez dynamiques, faites des propositions, innovez, animez l’entreprise, donnez envie à vos collaborateurs et ne restez pas derrière votre ordinateur, allez sur le terrain, rencontrez les gens, soyez à leurs côtés, bougez, soyez vivant, dynamique, aimez la vie, soyez un exemple pour votre personnel, ne vous laissez pas envahir par la morosité ambiante, faites régner autour de vous la bonne humeur, du bonheur, du plaisir et de la joie de vivre.

En résumé, je citerais Saint Exupéry « faites de votre vie un rêve et d’un rêve une réalité ». Et n’oubliez pas que l’on ne s’arrête pas parce qu’on vieillit mais, on vieillit parce qu’on s’arrête…